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Depuis mai 2021, les écoles d’enseignements primaires en RDC sont gratuites. Cette mesure proposée par le président Félix ANTOINE TSHISEKEDI a pour objectif de permettre aux élèves d’étudier sans payer les frais scolaires. Pourtant dans certaines écoles, l’ancien système de rémunération perdure. Enquête à Kolwezi.

École Kalenga de Tanganyika, 10 novembre 2023, à 10h00 pendant la récréation, crédit photo : Jérôme BATANGE.

C’est une spécificité congolaise, en RDC la majorité des écoles primaires publiques du pays ne sont pas gérées par l’État mais par des établissements religieux. L’Église catholique prédomine dans l’enseignement primaire, suivi par divers établissements d’obédience protestante.

Ce modèle de collaboration dans la gestion de l’éducation publique, associé à des taux élevés d’engagement financier des familles, contribue à expliquer comment la RDC a réussi à atteindre un taux net de scolarisation primaire de 71% en 2020, l’année précédant la mise en place de la gratuité. En RDC, les professeurs sont rémunérés à la fois par l’État à travers un système de prime et pas leurs établissements scolaires, frais de scolarité payés par les parents d’élèves. Depuis la mise en place de la mesure, seuls la prime émise par l’État fait office de rémunération, soulageant ainsi les parents.

Une prime jamais perçue

Pourtant en janvier et en avril 2023, le corps des enseignants a observé un mouvement de grève de plusieurs semaines à Kolwezi, ville de la province du Lualaba, dans le sud du pays. Ils dénoncent leurs mauvaises conditions de travail et déplorent ne jamais avoir reçu leur prime de la gratuité pour les enseignants NU (Nouvelles Unités).

Ces enseignants ont revendiqué leur droit de grève, au début de l’année 2023 suite au non-respect des promesses faites par le gouvernement congolais d’augmenter la majoration de la prime de la gratuité censée passer de 50.000 à 80.000 francs congolais.

L’un des responsables du corps syndical rencontré, mais qui a préféré garder son anonymat dévoile que l’argent perçu par les professeurs dans les écoles publiques concernées par la gratuité, reste une initiative venant des parents. Cet arrangement serait né d’un constat celui de la non régularisation de la prime d’Etat promise aux professeurs d’écoles : « les écoles perçoivent leurs frais et même les indemnités de l’Etat. Et c’est le comité de parents qui avait engagé les pourparlers avec les enseignants d’une manière officieuse afin de commencer à payer 20.000 francs Congolais à 25.000 francs Congolais par élève. Ces frais c’est pour encourager les enseignants. Mais, ils se sont transformés en salaire mensuel ».

Certains directeurs des écoles primaires à Kolwezi affirment ce samedi 23 mars 2024 dans un entretien avec la presse que cette perception des frais dans les écoles clandestines est connue des établissements scolaires et qu’elle se fait même en collaboration avec elles. C’est le vice-secrétaire Paul Katomanga d’un comité de parents dans une école de Kolwezi, qui confirme cela : « les autorités éducatives ne font rien pour lutter contre cette perception frauduleuse. Ces autorités provinciales devraient suspendre les directeurs d’écoles qui initient cette perception illicite».

Samedi 23 mars 2024, le banc syndical des écoles conventionnées fait savoir que ces frais perçus illicitement dans des écoles publiques ne sont pas des sommes d’argent pour les frais scolaires du mois mais plutôt un arrangement des cours supplémentaires aux élèves.

Avant la politique de gratuité scolaire, des dizaines de milliers d’enseignants dans les écoles primaires publiques attendaient d’être mécanisés par le gouvernement et incorporés dans la masse salariale, y compris les infrastructures scolaires de base, la disponibilité des manuels scolaires et le niveau de connaissances des enseignants, affirme le président de la société civile de Kolwezi, Jonathan Ngoy : « C’est un problème de gouvernance et de la mauvaise communication du système instauré pour la gratuité de l’enseignement. C’est qui a affaibli la prestation de services d’enseignement. et d’autres dépenses ayant peu d’impact sur les élèves dans les écoles ».

Ces hommes de la craie recevaient le salaire de l’Etat évalué à 310.000franc congolais équivalent de 120$ et la prime des parents évaluée entre 500 et 800.000 franc congolais équivalent de 250 à 350$. Selon Jean Pierre Kasongo, membre du corps syndical , ceci permettait aux enseignants d’arrondir les fins de mois. Il a estimé que l’exclusion par le gouvernement congolais de la prime, qui était payée par les parents, a été à la base des frustrations de plusieurs enseignants.

Des parents ont suppléé l’État

Le ministre provincial de l’Education, Alain Katenda confirme à travers sa réunion tenue avec les responsables de la sous-division de Kolwezi qu’après des tentatives passées, partiellement mises en œuvre, la nouvelle administration du président Félix Tshisekedi a fait de la gratuité de l’enseignement primaire une politique phare. Le ministre ajoute que l’Etat Congolais est parvenu à appliquer cette gratuité sur toute l’étendue de la République Démocratique Du Congo à travers l’appui de la Banque mondiale qui s’est engagée à soutenir cette politique.

L’opération est un financement de 800 millions de dollars étalé sur quatre ans.

Simon Kapang membre de la société civile de Lualaba a alerté ce 26 mars 2024 à travers notre entretien que la gratuité de l’enseignement au Lualaba est un échec indiscutable. Il appuie cette dénonciation à-travers leur étude effectuée en octobre 2022 sur dans la province du Lualaba avec l’appui de USAID/ IGA, qui est un programme de cette ONG internationale permettant à influencer la bonne gouvernance à-travers les plaidoyers et le renforcement des capacités aux acteurs politiques. Les écoles publiques n’ont pas une capacité d’accueil suffisante.

Cette étude effectuée en octobre dernier par la société civile indique que les enfants s’entassent au-delà des effectifs de plus de 50 élèves dans une salle de classe. Les enseignants de nouvelles unités ont décidé de ne plus donner cours. Ils ont pris cette décision pour faire pression à l’Etat afin de majorer leur salaire.

Pour le président du syndicat des écoles conventionnées, l’État n’aurait pas pensé à augmenter le nombre de salles de classes pour accueillir les élèves. Plusieurs écoles aujourd’hui ont commencé à suppléer sur le salaire de l’État avec des frais que les comités de parents ont organisé pour encourager les enseignants afin de leur permettre de tenir le coup. “D’ailleurs dans plusieurs écoles, ces frais que les comités de parents ont organisés sont gérés par eux-même,” dénonce-t-il.

Selon les informations récoltées sur terrain, les parents d’élèves craignent que si la situation ne change pas, il sera difficile voire impossible de terminer cette année scolaire. Actuellement les enseignants font un service minimum et un probable mouvement de grève est envisageable avant la fin de cette année scolaire 2023-2024 si la situation ne s’améliore pas.

Pour remédier à la situation, le gouvernement provincial de Lualaba a mis en place à travers les ministères de l’Éducation une équipe d’enquête depuis janvier 2024 afin de lister toute école qui perçoit les frais de prime payés par les parents. Pour le moment, aucune école n’a été poursuivie en justice.

Par Gracia Kaj

29 mars 2024

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