Vivre de la cueillette, ça vous fait penser à une époque préhistorique. Pourtant, même aujourd’hui, pour avoir accès à certains produits, les peuples forestiers de la République Démocratique du Congo ne peuvent se contenter que de la cueillette et du ramassage. Pour ces peuples, la forêt n’offre pas que le bois ; il y a aussi ces produits que l’on qualifie de « produits forestiers non ligneux (PFNL) », très utiles pour la vie de l’homme. Parmi les PFNL les plus prisés en RDC, on peut citer le Ngadiadia (ou kadika), la noix de Kola, la Murondo, le Ndehe, le tonga, mabongo, bombi,le fumbwa…
Dans les milieux urbains, ils sont appréciés pour leurs vertus nutritives, médicinales ou pour des usages particuliers. La demande devenant de plus en plus grande, ils deviennent également rares suite à de nombreux facteurs. Un danger d’extinction, à court ou à long-terme, plane vu la pression sur ces espèces en forêt. Comment prévenir cette menace de disparition ?
Reportage réalisé avec l’appui de Congo Basin/Rainforest Journalism Fund. Un reportage collaboratif de Hervé Mukulu, Picard Luhavo, Serge Sindani, Sarah Mangaza, Jacques Furahisha et Jackson Sivulyamwenge.
Ils servent de nourriture, de friandise ou de condiments ; consommés crus, infusés ou transformés. Ce sont aussi des médicaments efficaces auxquels s’appuient des communautés locales et peuples autochtones depuis la nuit des temps. Les bantous les recherchent aussi pour des vertus particulières, surtout quand la médecine moderne montre ses limites. Certains sont utilisés comme récipient, d’autres pour la construction des habitats, etc. Ils ont la seule caractéristique commune : ils ne sont pas cultivables, pour l’instant du moins. Malgré le fait qu’ils deviennent de plus en plus rares car menacés par l’insécurité, l’agriculture tant familiale qu’industrielle et l’exploitation forestière, leurs premiers bénéficiaires pensent qu’ils sont éternels et ne s’en soucient presque pas. Car, pour beaucoup d’entre eux, ce sont des bénédictions divines qui poussent naturellement.
Par ailleurs, ces fruits, noix, racines, feuilles, écorces, sève,… ne sont pas tous d’importance égale. Nous nous sommes penchés sur les plus prisés dans 5 provinces de la RDC (Nord-Kivu, Ituri, Tshopo, Tanganyika et Kinshasa).
En République démocratique du Congo, l’étude réalisée par Profizi et al (1993) a identifié, pour les PFNL, 166 espèces alimentaires et 239 aliments, 176 espèces pour 289 usages techniques, 463 espèces à usage médicinal et médico magique.
Ce périple à la découverte des fruits de la mère-nature commence dans une commune rurale de moins de 100 mille habitants, au Nord de la province du Nord-Kivu, à 30 km de la ville de Beni. Oïcha est une cité instable suite à la présence des milices armées locales et étrangères dans ses environs. Elle a été la cible de plusieurs attaques armées durant cette dernière décennie.
Dans un coin du rond-point Oïcha, éponyme à la ville, les hommes se remplacent sur les bancs autour d’une jeune dame, la vingtaine d’âge, vendeuse d’une sorte de thé faite à base de Ngongolio, Ngbako, ketsu, murondo et autres produits forestiers. Il s’agit d’une infusion de différentes noix et racines qu’on ne saurait qualifier réellement de thé, de café ou potion. Une spécialité qui fait la renommée de cette cité. A la maison, dans les vérandas des chefs tout comme dans les points de vente de la cité, les consommateurs sont réguliers et viennent pour les mêmes raisons, la bonne santé et le social. Eh oui ! Il faut une bonne raison pour s’habituer à boire quotidiennement, voire plus d’une fois le jour, une infusion tellement amère et dans laquelle tout le monde te déconseille de mettre même une infime quantité de sucre.
« Je suis chauffeur de voiture. Chaque jour quand j’arrive ici, je dois prendre le ngbako qui m’aide à soigner les maux de hanche et soigne les reins. Je ne sais voyager sans en prendre sous peine d’être très fatigué.», nous confie Sugabo Bahati, alors qu’il ingurgite sa mesure habituelle d’une tasse faite de bambou. Juste à ses côtés, un autre consommateur, la quarantaine révolue, vient boire le ngbako au même endroit depuis plus de 10 ans car, « C’est très bénéfique pour la santé, ça soigne le corps surtout en ce temps des épidémies (covid_19, Ebola, NdlR) ». Il est complété par son ami : « Ça contrôle le pancréas, tout le corps, contrôle le risque de diabète, ça donne aussi de la force. »
Par la force, on attend l’état d’esprit éveillé comme celui que procure du café, mais aussi, la force sexuelle.
Partie I : Aphrodisiaques, médicinales, nutritifs et pas que…
« Plus de 95% de consommateurs sont des hommes, quasi-adultes », nous confie une dame d’une vingtaine d’années, vendeuse du thé à base de Tangawisi mélangé au ngbako et ngongolio, au rond-point Ouagadougou dans le quartier Kindya en ville de Bunia, chef-lieu de la province de l’Ituri, située au Nord-Est de la RDC.
Pour elle, la raison de la masculinité de sa clientèle est claire : « Mes clients sont uniquement des hommes car elle donne la force masculine (sexuelle, NdlR) et élimine la fatigue ». Des vertus aphrodisiaques que les rares femmes, qui en consomment dans les endroits publics, n’admettent tout de même pas. « J’en prends, mon mari en prend, mais ce n’est pas pour la force au lit. Dieu a donné naturellement la force à mon mari. Moi j’en prends pour lutter contre plusieurs maladies et la fatigue aux hanches. », explique une marchande qui en consomme dans un point de vente à Oïcha. Autour d’elle, les hommes qui en consomment nient aussi qu’ils en prennent pour les vertus sexuelles. « Ça rend seulement le corps en bonne santé », disent-ils dubitativement, un peu comme gênés.
En fait, nous sommes dans une société dans laquelle tout ce qui a trait au sexe est tabou. Bien plus, aucun homme ne peut avouer qu’il a des insuffisances au lit et qu’il lui faut un turbo, de temps en temps. C’est déshonorant de sa part.
Pourtant, les vendeuses et cueilleurs sont unanimes. Les vertus sexuelles, c’est ce qui fait vendre ces produits. Une des vendeuses de ces produits sur étalage au marché central de Bunia nous explique les différents produits préférés par les hommes pour leurs vertus sexuelles : «Les jeunes garçons viennent chercher Akoro, cette poussière ici », dit-elle en montrant des petites boules de poussière dans un sachet. « Puis ils viennent chercher ce kitamaka », ajoute-t-elle en montrant des morceaux de tige séchés. « Ensuite, ce mundongo », poursuit-elle en montrant des écorces séchées et enfin « Ils viennent chercher ce murondo », achève-t-elle en montrant des racines qui sont d’une apparence un peu cartilagineuse. Particulièrement, les hommes mûrs, plus de la quarantaine, « Ils viennent chercher le Kitamaka, le kadika et le ngongolio », ajoute-t-elle.
Les deux derniers sont des noix très amères. Néanmoins, la noix de Ngongolio, d’une écorce noire et rouge de l’intérieur, est plus de deux fois volumineux que le kadika et comporte plusieurs parties, alors que le kadika est plus ou moins compact, avec une couleur grisâtre à l’intérieur.
En province de l’Ituri, Territoire de Mambasa, chefferie de Mambasa, village Tobola dans la localité de Magbalu, à 170 kilomètres au Sud de la ville de Bunia, nous avons croisé monsieur Amboko, un pygmée, dont le travail est la récolte de ces fruits de la forêt. Il explique que certains ont ce pouvoir sexuel avéré comme cet arbuste qu’il tient à la main : « Timba, si vos veines ne se lèvent pas quand vous êtes avec une femme, mangez les écorces de ça. On coupe et mange les écorces. »
Par ailleurs, monsieur Alinga Jean-Pierre Teto est un leader Pygmée travaillant pour le Programme d’Assistance aux Pygmées, une ONG qui fait la défense des droits des peuples autochtones dans la province du Nord-Kivu, PAP-RDC. Il confirme les vertus aphrodisiaques de certaines plantes, mais l’usage ne se limite pas là.
« Si vous manquez d’enfants dans votre couple, il y a des plantes que je vous donne et vous concevez. », rassure-t-il. Ceux qui cultivent en forêts nous font perdre beaucoup de richesses comme ces produits aphrodisiaques ; « je soigne aussi les hémorroïdes, les épileptiques, même les somnambules, les fous. J’ai des plantes que j’utilise pour les immobiliser. Si votre femme accouche par césarienne, on ne va lui donner qu’une huile à enduire sur le bas-ventre et ça ne se répètera plus. J’ai même une jeune fille que j’ai soignée, ancienne épileptique, qui vient de se marier après sa guérison. Même chose si vous êtes empoisonné. Je soigne le poison avec mes produits naturels. J’en soigne beaucoup dans notre dispensaire des pygmées.», nous confia-t-il dans la veranda de son quartier dans la cité de Mavivi, à une vingtaine de Km de la ville de Beni.
L’Ingénieur Kikulbi Kase, Chef de travaux à l’Université de Kalemie, souligne les vertus contraceptives de certaines plantes : « Il y en a ceux que les femmes prennent après une relation sexuelle pour ne pas tomber enceinte ou attraper les IST », nous confie-il dans son bureau.
Les peuples bantous et les pygmées échangent très peu leurs recettes médicinales traditionnelles. Néanmoins, confrontés à certaines maladies communes comme la malaria et la diarrhée, ces peuples utilisent certaines plantes communes. « Sans partager les recettes, les bantous et les pygmées utilisent principalement les mêmes plantes contre le paludisme et les faiblesses sexuelles. », a constaté le Professeur Eric Kasika, ethno-botaniste et enseignant à l’Université Catholique du Graben à Butembo, dans sa thèse de doctorat intitulée « Échange d’expériences d’utilisation des plantes médicinales entre peuples forestiers. Le cas des pygmées et bantous Nande en territoire des Beni et Lubero ».
Jusqu’aujourd’hui, une insuffisance de médecins dans les villages, la pauvreté et l’insécurité poussent les peuples forestiers à recourir plus à la phytothérapie qu’à la médecine moderne, révèle la thèse de doctorat du Professeur Eric Kasika.
Dr Kasusula Bienvenu, médecin traitant à l’hôpital de Matanda, a souligné, lors d’une conférence scientifique à l’UCG, que les deux médecines (traditionnelle et moderne) partagent beaucoup de choses en commun.
« La matière première de fabrication des produits reste la même. A partir des plantes, ses écorces, tiges ou feuilles, fleurs. On peut recourir à certains tissus d’animaux, liquides biologiques d’animaux ou d’autres êtres. Les voies d’administration entre les deux sous-secteurs restent essentiellement les mêmes. Des produits à avaler, à administrer sur la peau, à prendre par lavement ».
La différence est tout de même fondamentale. Car selon que le tradi-praticien utilise uniquement les plantes, il est phytothérapeute, psychothérapeute ou utilise l’occultisme comme dans la pratique du massage à distance. Il est qualifié de féticheur. Pour la médecine moderne, il y a plutôt des nutritionnistes, des kinésithérapeutes,…
Docteur Kasusula Bienvenu souligne que, bien que reconnue, c’est l’organisation de la filière médecine traditionnelle et de la procédure de la fabrication des médicaments qui diffère de la médecine moderne. Ce qui est normal comme réagi monsieur Freddy Nzeka, point focal de la médecine traditionnelle dans le Grand-Nord. Car malgré la reconnaissance de la médecine traditionnelle depuis 2002, elle n’est pas financée : « L’État congolais a reconnu la médecine traditionnelle, mais n’a pas pu budgétiser cette médecine pour qu’elle puisse travailler conformément aux normes de la médecine. Ce qui crée une sorte de méfiance entre les deux car la médecine moderne est prise en charge, tandis que l’autre est abandonnée à son triste sort, au point que tout le monde taxe les tradi-praticiens de charlatans.», déplore- t-il.
Pour profiter des vertus alimentaires de ces produits, il n’y a pas que sous forme de thé, de légumes ou noix naturels qu’il faut les consommer. Ils sont aussi dans le vin. Aux heures vespérales, près du marché central de Bunia, un des consommateurs du vin Kargasok se confie à nous : « J’en bois depuis cinq ans et je ne bois que le kargasok. Je ne prends aucun autre alcool. »
En ville de Butembo, tous les vins produits localement sont faits de produits forestiers aux vertus aphrodisiaques. La principale publicité de ces vins est cette qualité aphrodisiaque comme l’indique leurs noms : Vin de mariage, Vin d’ambiance, Vin Kitoko, Vin Plaisir, Vin Nguvu, Very strong,…
Bien plus, l’industrie pharmaceutique en utilise certains impérativement : « L’écorce de Pygeum africana,( un arbre connu sous le nom de Ngote dans les territoires de Beni et Lubero, NdlR), est très utilisée. Ses extraits interviennent dans la fabrication de plusieurs produits pharmaceutiques qui peuvent aller jusqu’à soigner le cancer de la prostate. Il en est de même de l’écorce du quinquina dont est extraite la quinine qui est la molécule la plus efficace contre la malaria. Le fumbwa a une valeur pharmaceutique énorme. Il est utilisé dans la fabrication de plusieurs produits. Étant une légume, ça peut se consommer régulièrement sans risque, mais il faut améliorer sa cuisson afin que la population maximise sa valeur nutritive. », ajoute Inoussa Njumboket, point focal Forêt de WWF-RDC.
Une étude menée à Gbadolite (Province de l’Equateur) en 2015 par Jean Christian Bangata B.M de l’université de Kinshasa montre que les produits, Cola acuminata et Piper guineense, sont utilisés pour 15 finalités dont les principales sont médicinales comme stimulants, traitement des maux de ventre, des douleurs, de reins, irritations,…
En 2005, Le Fond Mondial pour l’alimentation, FAO, estimait qu’environ 80 % de la population des pays en voie de développement utilisent les PFNL pour se soigner et se nourrir. Car 75% des pauvres du monde vivent en milieu rural.
Le long parcours pour les centres urbains
Pour atteindre les grandes agglomérations, certains de ces produits réalisent des parcours de titan. Quand on voit un vendeur ambulant dans les rues de Kinshasa, la capitale congolaise, ses noix et racines qu’il trimbale dans un bocal sur la tête ou les épaules viennent de très loin comme nous confie l’un d’eux : « Ça vient de l’Angola, par route, en passant par matadi, puis moi je vais en acheter au marché de Gambela. ». Et même dans la sulfureuse Kinshasa, les gens les préfèrent pour plus d’une raison dont certaines semblent mystiques: « Ça soigne beaucoup de parties du corps. Et si vous avez manqué où se trouve votre frère dans le cimetière, vous mangerez ceci ; et vous saurez le retrouver. », nous confie-t-il en montrant une tige. « C’est un produit ancestral que l’on ne vole pas. Si jamais vous le volez, vous aurez des malédictions. Et puis, nous qui travaillons la nuit, ça nous procure la sécurité. », nous confie ce vendeur de noix de cola et autres racines avec 12 ans d’expérience dans les rues de Kinshasa, la Belle.
Dans cette même ville dont les statistiques sont quasiment incontrôlées et pour laquelle certaines sources rapportent qu’elle compterait entre 12 et 20 millions d’habitants, une bonne partie de la population raffole d’un légume dit « Fumbwa ».
Malheureusement, c’est un légume sauvage qui ne se trouve que dans les provinces intérieures. Par absence de route, elle prend l’avion. « Je suis grossiste du fumbwa. C’est un légume qui ne se cultive pas. Si vous le cultivez, ça ne pousse pas. Il vient des provinces de l’intérieur par avion. Ce lot vient de Kananga. », nous explique une dame rencontrée dans un dépôt à chambre froide. Plus de détails nous est donné par une autre dame, dans le dépôt voisin : « Ce fumbwa dans mes mains vient de Kananga. Les gens vont les chercher à moto à l’intérieur de la province. Puis à Kananga, les camions amènent cela à l’aéroport. Ça arrive ici par avion. De l’aéroport de Ndjili, on commence à distribuer dans les dépôts de la ville. Et c’est ici que les détaillants viennent acheter. Et à partir d’ici, certains papas en exportent pour l’Angola et pour l’Europe. »
D’autres feuilles comme le magungu, à Kisangani, à Kinshasa comme à Beni, sont principalement utiles pour l’emballage de la chikwangue. Ce pain congolais est fait à base de manioc. Cuits dans ces feuilles, la chikwangue a toujours une saveur exquise que l’on ne saurait comparer à ceux cuits dans les sachets ou autres emballages. On dirait que ces feuilles font partie de l’ingrédient magique, nous confie une vendeuse de Kisangani. Dans cette même ville, ces feuilles servent à préparer un plat spécial, le Liboke. Des morceaux de viande ou du poisson avec condiments que l’on fait cuire à l’intérieur des feuilles. Un goût exquis.
Pourtant pour les vrais peuples forestiers, ces feuilles sont encore plus utiles que ça. Ils construisent des abris et servent d’ustensiles. « On les coupe et on en fait un paquet de trois, bien accrochées, une feuille à l’autre pour qu’ils servent de toiture de la hutte », explique notre hôte. « Ces maisons ne durent que trois jours et ne sont construites que par les femmes. L’homme n’en maîtrise pas la technique.», explique un habitant d’un village pygmée à Mambasa. Cette précarité d’habitat ne pose aucun problème, car leur village n’est entouré que de ces magungu. Ces mêmes feuilles servent d’assiette pour le repas, d’ustensile pour garder un repas au chaud et de casserole pour la cuisson.
Partie II : Un gagne-pain pour beaucoup
A Kinshasa, les feuilles de fumbwa sont tellement consommées. Leur commerce fait partie de la vie. Ce commerce fait vivre bon nombre de familles gagne-petit comme cette dame que nous rencontrons à son lieu de travail sur une rue de Kinshasa. A l’aide d’un géant couteau qu’elle aiguise à l’aide d’une lime après chaque usage, elle coupe le petit paquet de feuillage de fumbwa en fins morceaux. « J’ai appris à couper le fumbwa depuis toute petite, mais une fois mariée, après que mon mari ait eu de difficultés dans son boulot, j’ai décidé de commencer à vendre ce fumbwa pour aider ma famille depuis 2009 », nous confie-t-elle sans arrêter de découper son légume. La rareté de son produit l’inquiète car ça fait hausser les prix. « Ça devient de plus en plus rare, c’est pourquoi ils (les grossistes, ndlr) nous vendent de plus en plus des petits fagots. Le tout ici à 4000 Franc Congolais (FC) ou trois fagots à 2000 FC. », précise-t-elle en soulignant qu’elle ne gagne pas énormément.
Le rendement varie, mais si elle investit 22 mille FC plus 2 mille FC de transport, « Dieu aidant, je peux avoir 15 mille FC de bénéfice.», nous confie-t-elle. Et cela pourvu que sa marchandise soit vendue le même jour.
Pour diminuer encore les marges de bénéfices, les grossistes font face à un autre genre de problème, tel que l’indique une d’elles, ce métier étant plus féminin, rencontrée devant un dépôt : « Il n’y a pas de grand bénéfice. Les taxes deviennent de plus en plus chères et nombreuses, en plus du transport qui coûte cher. Ça ne vient que par avion.” Elle a 30 ans de carrière dans la vente de fumbwa. Ce métier lui a permis d’élever ses enfants jusqu’à en marier certains : « Les soins de santé, les frais scolaires, tout vient de ce travail. J’ai même organisé les mariages de mes enfants grâce à ce travail. »
Une étude de l’exploitation et du marché des produits forestiers non ligneux à Kinshasa réalisée par A. Biloso1 & J. Lejoly2 paru dans la revue TROPICULTURA en 2006 rapporte que le revenu bimensuel pour les légumes Gnetum africanum Welw était estimé à 275,0 $ et le Pteridium centrali-africanum Hieron à 166,7$, pour Dracaena camerooniana Baker à 75,5 $, Dioscorea praehensilis à 71,0 $; Psophocarpus scandens à 58,7 $.
C’est la même chose pour la jeune vendeuse de Ngbako à Oicha ; elle réalise des recettes d’environ 50 milles francs congolais (25$) le jour sans préciser la part de bénéfice dans cette somme. Elle ne fait que ça de sa vie : « Quand je quitte ici la mi-journée, c’est juste pour aller me laver et je reviens. Je suis ici de 5 heures du matin au soir tous les jours ». Comme gain, elle en vit et s’est même déjà acheté une moto qui fait le taxi. Pour une jeune fille d’une vingtaine d’années, c’est une bonne affaire. Tel est également le cas de la vendeuse de Bunia, au marché central. Elle fait aussi pas mal de recettes la journée en vendant ses noix, racines et poudre : « J’en vends pour environ 50 mille francs par jour ». Et ce business ne se porte pas bien que dans la ville. Même ceux qui cherchent ces produits dans la brousse réalisent aussi relativement des bonnes recettes, comme le confirme notre hôte pygmée : « Ça dépend de la saison. Quand ce n’est pas la bonne période, je peux avoir juste un sac et à la bonne saison, plusieurs sacs et ça me rapporte beaucoup d’argent.»
Malheureusement, il arrive que pour une semaine de recherche, la récolte soit médiocre. C’est le cas de Junior, motard et cultivateur de profession, que nous croisons au marché de Mayangose (territoire de Beni en province du Nord-Kivu), venant déposer sa marchandise de magungu aux détaillants. Il ne revient en ville de Beni qu’avec une marchandise d’environ 20 mille francs. La cause : « Ils deviennent de plus en plus rares puisque détruits par la création des champs agricoles », déplorent-t-il.
Partie III : La menace de la disparition présente, la préservation est-elle encore possible ?
Le leader pygmée Alinga Jean-Pierre Teto souligne que les propriétaires de la forêt, les pygmées, ne vivent plus non plus dans leur milieu naturel, la forêt. « Nous n’y avons plus accès depuis le début de la guerre. On se force à aller les chercher même très loin. La première cause de cette rareté même de magungu est la guerre ; mais aussi la déforestation fait disparaître ces produits. La population coupe les lianes de Mbili, les arbustes de kadika, de ngongolio,… », déplore-t-il.
La faute, c’est aussi les nouveaux produits pour nourrir les centres urbains car « Ils y mettent des nouveaux fruits comme le manioc, la banane, et coupent les arbres pour avoir le bois de chauffe. On se rend compte de la crainte de leur disparition quand on les manque. Et c’est ce qui rend minable le pygmée. S’il vivait dans sa forêt, on ne l’accuserait pas de voleur et d’autres maux. Ça nous rend triste. », déplore-t-il. Cantonnés dans les centres urbains dans des camps de refuge, comme à Oïcha, et sans assistance, ignorants plusieurs métiers urbains, les pygmées sont parfois réduits au vol des produits champêtres des bantous pour survivre. Ce qui crée des tensions énormes et une mauvaise réputation de voleur et paresseux pour les pygmées en milieu urbain. Autrement, les femmes pygmées mendient.
La coupe incontrôlée du bois par les exploitants tant industriels qu’artisanaux, mais aussi l’agriculture itinérante sur brûlis, sont indexées par le Chef de Travaux Ruffin Mbuse, Ingénieur forestier et titulaire d’un master en Gestion de la Biodiversité et Aménagement Forestier Durable de la faculté des Sciences de l’Université de Kisangani. Par ailleurs, le modèle agricole en usage dans les Tanganyika est un sérieux problème : « Le modèle agricole utilisé actuellement, l’agriculture sur brûlis, c’est un mode qui dévaste pas mal d’écosystèmes forestiers. Les espaces occupés par les cultures connaissent des mutations très sévères du point de vue de la biodiversité tant animale que végétale. Il y a de ces semences qui ne résistent pas au feu. Elles reculent. A force d’exploiter les sols agricoles, les semences forestières atteindront un certain moment le point d’extinction. Raison pour laquelle, il y a de ces espèces qui ne se font plus voir. »
Une autre dimension importante est évoquée par le Professeur Alphonse Maindo, directeur de l’ONG Tropenbos RDC. « D’abord, il y a l’action de l’homme sur la faune et la flore. Sur la faune, lorsque nous chassons les gibiers, nous les abattons de manière presque sauvage pour notre alimentation. Nous réduisons, par la même occasion, la possibilité de certaines plantes, y compris les arbres, de se régénérer naturellement. Car certains animaux sauvages (mammifères, oiseaux,…) sont des agents de dissémination et d’ensemencement de certaines espèces de plantes. Quand ils disparaissent, ils disparaissent donc avec ces plantes-là. », fait-il remarquer. En plus des travaux agricoles, il y a les aménagements routiers et autres infrastructures. « Nous qui sommes nés à Kisangani, on avait des fruits sauvages autour de la ville. On allait cueillir des fruits dans
des endroits qui sont devenus des quartiers.», se remémore-t-il.
culture sur brulis. Apres après avoir coupé des arbres. On brule les
feuilles avant de commencer à cultiver © Picard Luhavo
La conservation est-elle possible ?
Penser à long terme devrait commencer par les consommateurs et les intermédiaires. Hélas ! Ils parlent tous le même langage : ces produits non cultivables sont des dons divins intarissables pour eux.
« C’est un cadeau de Dieu, ça ne peut pas finir dans les forêts des provinces.», nous répond une vendeuse en détail de la fumbwa à Kinshasa. Dans la forêt de l’Ituri, à plus de 170 km de Bunia, un récolteur des noix ne s’imagine pas que ça peut disparaître un jour : « Il faut juste respecter les saisons. »
« Dieu ne peut pas le permettre », répond une consommatrice de ngbako à Oicha. Bien qu’elle reconnaisse qu’ils deviennent de plus en plus rares, une vendeuse de Magungu au marché de Mayangose nous répond : « Ce sont des dons de Dieu. Ca ne peut pas disparaître.»
« Entre les peuples forestiers et la forêt, il y a une relation à plus d’une dimension : économique, alimentaire, sanitaire et culturel. Selon ma petite expérience, les peuples forestiers n’ont pas la notion de conservation. S’il s’agit de couper une plante, ils coupent sans tenir compte de sa durabilité », soutient l’Ir Kikulbi Kase, Chef de travaux à l’Université de Kalemi.
« Les peuples forestiers vivent dans cette conception que si je ramasse aujourd’hui, il n’y a pas de raison que je ne ramasse pas demain. Il y en aura toujours. Ç’a été, c’est et ce sera. Donc ça n’en vaut pas la peine. C’est pourquoi nous avons du mal à conscientiser les gens à reboiser. Car pour eux ça pousse tout seul. Tu manges un fruit et tu jettes les graines et le lendemain ça pousse tout seul. Malheureusement, aujourd’hui, nous sommes en train de perdre tout ça en détruisant la forêt et je crains que les générations futures ne puissent voir ce que nous avons eu, nous, la chance de voir et de voir ça seulement dans les livres de botanique et autres simplement », s’inquiète le Professeur Maindo.
Le peuple forestier vit dans un environnement où tout doit provenir de son écosystème naturel qui est la forêt. Ce qui n’est pas le cas avec la densité des agglomérations, même en forêt.
« Beaucoup de plantes consommées actuellement sont exotiques. Je prends le cas des maniocs, orangers,… qui viennent d’autres continents, alors que nos ancêtres dépendaient des plantes qui poussaient à l’état sauvage. L’arrivée des nouvelles plantes pousse vers la disparition des anciennes plantes. », fait remarquer le CT Ruffin Mbuse.
« Depuis nos ancêtres qui ont vécu complètement en forêt, il existe beaucoup de produits qui protègent le pygmée. Comme Aduaka, c’est notre manioc sauvage. Mambili, c’est de l’arachide sauvage que l’on ajoutait dans le sombé. Mambili, c’est l’huile dont les femmes se servaient pour griller de la viande au retour des hommes de la chasse avec le gibier. Avant une sortie en cité pour venir visiter les frères bantous, après le bain, on s’en servait comme lotion et ça nous rendait très propre. », se rappelle le leader Peto qui se reconnaît déjà civilisé avec un peu de tristesse.
Aujourd’hui, le pygmée n’a plus accès au magungu. Si un pygmée tente d’aller récolter le ngongongio dans un champ, c’est la guerre avec machette et qui ne pourra être résolu que dans la barza. C’est pourtant un produit du pygmée, regrette-t-il.
Pourtant, ceux qui vivent dans les villages environnant la forêt, prennent de plus en plus conscience. « Je récolte les fruits et je laisse l’arbre pour en profiter à la prochaine saison », explique un habitant de Kabubili, village situé à 31 km de la ville de Kalemie sur l’axe Kabimba, dans la province du Tanganyika.
« Nous vivons de ces fruits et sa protection reste capitale, car ils profiteront même à nos enfants », a affirmé Maman Jeanne, une vendeuse de fruits, rencontrée à Pungwe, un village situé à 22 km de la ville de Kalemie, sur l’axe routier menant vers Lubumbashi. Ils sont d’une importance capitale, car ils servent également comme médicaments d’une manière simple et traditionnelle.
Il sied de signaler que les fruits sauvages sont protégés selon différentes coutumes. Pour d’autres, il faut respecter les rituels. « Pour récolter, il m’est interdit de monter dans cet arbre. Sinon toute ma famille va mourir. Je dois attendre que les fruits tombent d’eux-mêmes pour que je vienne les récolter par terre », nous explique notre hôte dans la forêt de Mambasa.
Mais nous assistons à un problème social actuellement. « Le christianisme qui serait également responsable de l’abandon de beaucoup de ces plantes. Aller écorcher un arbre en forêt pour soigner sa femme, pour beaucoup cela est assimilé à une pratique fétichiste. Et les chrétiens abandonnent ces plantes. », regrette le chercheur Ruffin.
La relation de méfiance entre le christianisme et nos coutumes est celle qui influencerait même la non-prise en charge de la médecine traditionnelle par l’Etat comme le reconnaît Freddy Nzenza, point focal de la médecine traditionnelle dans le Grand-Nord de la province du Nord-Kivu.
Il n’existe pas non plus de mécanisme approprié pour la gestion des fruits sauvages, reconnaît Paul Senga, coordonnateur provincial du service de l’environnement en province du Tanganyika, avec 27 ans de service.
Naturellement, tous les fruits n’ont pas la même périodicité en termes de maturation. Il y en a que l’on peut trouver en maturation en pleine saison sèche, et ceux qu’on peut trouver en saison de pluie, expliquet-il. Néanmoins, il y a une protection indirecte, « Lorsque nous délivrons les permis de coupe de bois, nous prenons soin de signaler les espèces qui doivent être protégées, dont certains arbres fruitiers. Ne peut être autorisé à couper par exemple le pafsa, le mabunge, c’est formellement interdit. », nous éclaircit-t-il dans son bureau.
Car le défis est grand et demande une conscience de tous. « Nous avons des agents de l’environnement, mais ils ne sont pas là pour les fruits sauvages. Prenons un territoire comme Moba avec 24 milles km carrés, les agents ne peuvent être partout. Le phénomène de feu de brousse montre que ce n’est pas qu’un problème des agents de l’environnement. Avec 33 agents, on ne peut pas contrôler un territoire aussi vaste que celui de Manona avec 34 mille km carrés. », illustre-t-il pour démontrer que c’est l’affaire de tout le monde qui doit prendre conscience de l’importance des fruits sauvages parce que ça contribue à la santé de tous et chacun.
Nous devons nous mettre à restaurer les forêts, mais nous pouvons aussi faire un travail de domestication. « Car toutes les espèces végétales peuvent être domestiquées. Il y a des gens qui ont déjà domestiqué le fumbwa. Dans beaucoup de pays, on en fait des plantations. Ainsi, on peut domestiquer les tonga », témoigne le Professeur Maindo.
« En matière de régulation, le code forestier est la loi qui impulse les directives. Les textes d’application devraient suivre afin de garantir le suivi de tout ce qui est de la pérennisation des filières. L’Etat ne pouvant pas tout faire, les organisations, comme le WWF est une porte d’entrée pour accompagner l’organisation de ces filières porteuses des PFNL », suggère Inoussa Njumboket, point focal forêt WWF-RDC.
« Pour la conservation, des recherches scientifiques sont menées, mais les techniques utilisées ne peuvent être calquées en milieu rural jusque-là, vu le niveau intellectuel et le coût financier. C’est ainsi que, scientifiquement, plusieurs travaux se limitent à l’identification et à évaluer l’ampleur de leur extinction. », déplore le Chef de Travaux Ruphin Mbussie.
Depuis l’avènement de la foresterie communautaire en RDC, nous assistons à un regain d’intérêt pour les produits forestiers non ligneux, PFNL. Plusieurs initiatives locales sont menées pour aider les communautés à rendre viable économiquement leurs forêts. On ne peut pas gérer ce que l’on ne connaît pas.
« Actuellement, il se mène des travaux d’inventaire. Nous n’avons pas suffisamment de chiffres exacts pour étayer le fait que ces espèces pourraient disparaître d’un moment à un autre, mais nous comprenons qu’il y a actuellement une rareté dans certaines communautés. Car ceux qui les prélèvent vont jusqu’à les déraciner. Des pratiques qui ne sont pas durables. », reconnaît Inoussa Njumboket.
Mais puisque les peuples forestiers sont de plus en plus conscients de la rareté, « car ils commencent à réaliser des grandes distances pour avoir les fruits, les insectes qu’ils trouvaient encore dans leur environnement immédiat, il y a quelques années ; l’important est le renforcement de l’éducation en protection des forêts. Comme l’intérêt n’est pas que local, avec tout ce que nous offre la forêt pour la lutte contre le changement climatique et la conservation de la biodiversité, on ne doit pas baisser les bras », insiste l’Ingénieure Deborah Waluvera, titulaire d’un Master en Gestion de la Biodiversité et Aménagement forestier durable à l’Université de Kisangani, dans le programme CIFOR-UNIKIS et enseignante au sein de la faculté des Sciences Agronomiques de l’Université Catholique du Graben à Butembo.
Pour les pygmées, la solution reste leur réappropriation de la forêt ainsi que tout ce qui croît naturellement.
« Nous le répétons dans les médias que le pygmée a le droit d’aller récolter ses ngongolio même si c’est dans le champ d’autrui. C’est à lui de décider de te laisser une partie par pitié. C’est son droit naturel. Puisque pour la domestication, le ngongolio, par exemple, on peut le planter, mais il ne produira des fruits que très tard, quand vous ne serez plus de ce monde. », explique Peto.
Reportage réalisé avec l’appui de Congo Basin/Rainforest Journalism Fund. Un reportage collaboratif de Hervé Mukulu, Picard Luhavo, Serge Sindani, Sarah Mangaza, Jacques Furahisha et Jackson Sivulyamwenge.